Dans le cadre de mes études de communication à l'HEPL (Haute École de la Province de Liège), située à Jemeppe, nous avons eu l'occasion de rencontrer l'autrice Katia Lanero Zamora, après lecture de son roman Les Ombres d'Esver ! Une femme vraiment inspirante avec qui parler de son livre s'avère enrichissant, notamment aussi concernant le monde de l'écriture (et pas que le côté lecture !). Bref, je suis ressortie de cet après-midi sur un petit nuage ! Cet article est dédié à cette autrice, mais aussi à mes camarades de classe, grâce à qui ce rendez-vous fut très animé. En revanche, il contient des spoilers sur Les Ombres d'Esver, alors si vous ne souhaitez pas être spoilé, je vous conseille de ne pas aller plus loin. Pour les autres... Bonne lecture ! Voici la rencontre en intégralité : Juliette : On dit souvent que les écrivains s’inspirent de ce qu’ils connaissent ? Katia Lanero Zamora : Une autrice libère en elle des expériences qui provoquent des émotions, un parcours personnel face à des épreuves que l’on fait. Il ne faut pas avoir fait de la botanique dans un Manoir pour écrire Les Ombres d’Esver, mais il y a des thématiques, des relations entre les personnages, de façon inconsciente. Je ne suis pas experte en botanique, je n’ai pas la même maladie qu’Amaryllis, mais concernant la thématique du livre, les obstacles qu’elle traverse, il y a quelque chose de personnel, quelque chose qui ressort de ma relation avec ma mère lorsque j’étais ado. On s’entend bien, ce n’est qu’une fiction. Mais j'ai eu une période de ma vie où je me suis retrouvée dans une situation de harcèlement psychologique dans mon couple, où je m’en suis sortie en devenant un dragon. Je m’en suis rendu compte par après, il y a beaucoup de moi dans Gersande. Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion d’avoir des questions sur ce roman, alors en parler avec vous me permet de prendre du recul. Jeanne : Est-ce que vous avez tout de suite voulu être autrice ? Katia Lanero Zamora : Dès que j’ai su que c’était quelque chose qui me plaisait tellement que je ne voyais pas ma vie sans, je savais que ça allait être dur, mais si je ne le fais pas pour moi, personne ne va le faire. Suite à mes études de romance, j’ai aimé puisé dans la langue, dans les mythes fondateurs, donc ça résonne. Emeline : Qualifieriez-vous votre livre, Les Ombres d'Esver, de fantastique ? Katia Lanero Zamora : C’est du fantastique. C’est un genre où le surnaturel surgit dans le réel. Cela met le personnage dans le doute, l’incertitude, Les Ombres d’Esver est plus proche du fantastique proche du gothique. Après, il y a des avatars recréés dans l’imaginaire d’Amaryllis, mais ça reste dans le domaine du fantastique. Léo : L’atmosphère gothique s’est-elle créée elle-même ? Katia Lanero Zamora : Cette image qui s’est imposée à moi a dicté son propre décor, avec tous ses éléments, quand le Manoir est devenu une sorte de serre dans mon imagination. Tout est devenu froid, austère, c’était encore pire que ce que j’avais imaginé au début. J’ai infusé des lectures que j’avais lues, comme Les hauts de Hurle-Vent, Le jardin secret, avec cette prégnance d’une grande bâtisse éloignée de tout avec très peu de personnes, une espèce de huis-clos dans une nature sauvage. Lorsque j’avais fini la première version, des comédiennes ont lu des extraits de Les Ombres d’Esver, et on m’a dit « Je ne savais pas que tu écrivais un roman gothique ! », je ne le savais pas non plus. Quelqu’un me l’a dit, et quand je l'ai su, je m’en suis servie pour mieux exploiter les ingrédients du gothique. Emeline : Pourquoi ne pas avoir choisi entre psychologique et fantastique ? Katia Lanero Zamora : C’est la puissance du trauma d’Amaryllis qui fait en sorte de créer cet univers, mais il n’en est pas moins réel parce qu’il sort de sa tête. Quand Harry demande : « Mais est-ce que tout cela est réel ou est-ce que c’est dans ma tête ? », Dumbledore répond « Mais pourquoi ce ne serait pas réel si c’est dans ta tête ? ». Léo : Cet univers existe-t-il que pour Amaryllis ? Katia Lanero Zamora : Son imaginaire est tellement puissant. Quand vient le moment de choisir entre sa mère et son père, son rêve devient réel ; c’est de l’imaginaire. Tom : Est-ce que ce mal d’Esver qu’Amaryllis combat, c’est ce traumatisme ? Katia Lanero Zamora : C’est la souffrance de cette petite fille qui n’a jamais été consolée, qui n’a jamais pu faire son deuil, et qui a grandi en elle. Elle n’est jamais sortie d’Esver, c’est comme si elle laissait tout en plan. Elle envoie une horde de cauchemars, elle a juste besoin d’être consolée, de se remettre de « l’abandon » de son frère. Avez-vous remarqué que le père n’a pas d’avatar dans Esver ? Ce serait facile que ce soit lui le coupable, il est déjà l’acte manqué, il n’existe pas dans l’imaginaire d’Amaryllis. En découvrant que cette petite fille n’avait jamais pu exprimer son deuil, jamais été consolée (toutes les attentions se sont concentrées sur la mort de son frère et de leur abandon), et par loyauté pour le parent, l’enfant n’aborde pas ce qui s’est passé et va occulter ses souvenirs. Je me suis renseignée auprès d’une psychologue de l’enfance, et c’est totalement possible. Alors, elle a recréé des personnages suite à cela. Amélia : Dans les personnages fantastiques, y a-t-il à chaque fois une raison derrière ? Katia Lanero Zamora : Le tout premier que j’ai vu, c’était Féroce. J’étais en Camargue, dans une résidence chez une maison d’édition, où l’on peut écrire de façon isolée. On a le temps de se plonger dans ce qu’on est en train d’écrire. En restant un mois là-bas, j’ai écrit la première version. Ma première question a été : Comment ont-elles survécu toutes les deux, toutes seules ? Comment avaient-elles à manger ? Comment la nourriture rentrait-elle ? Peut-être que quand elle était enfant, Amaryllis aurait eu des amis imaginaire... Tout de suite, j’ai vu Féroce en centaure (je regardais Game of Thrones, j’ai un peu fusionné Khal Drogo et son cheval) [rire]. On m’a dit « Pourquoi pas un bucentaure ? », et je trouvais ça chouette, surtout qu’il pourrait en avoir marre qu’on le confonde avec un centaure. Je suis tombée sur un tableau représentant un bucentaure dans une bataille navale ; c’est un navire qui a résisté le plus longtemps jusqu’au lever du soleil. Le père d'Amaryllis, c’est un commercial, un marin, donc c’est comme ça qu’elle connaît le mot bucentaure ! Mais qui est Féroce dans la vraie vie alors ? Contrairement au bucentaure qui était plutôt fort, viril, Horace était un petit homme, plein d’imagination, et Amaryllis le voyait comme un grand homme, contrairement à son père qui n’existe même pas dans son imaginaire. Par rapport à Rouage, c’était évident que son frère en chaise roulante soit un bonhomme un peu steampunk. La grand-mère, la gorgone, était une femme sur laquelle reposait toute la réputation de la famille, ça peut glacer d’un seul coup. Juliette : Vous avez parlez d’Harry Potter… Avez-vous puisé votre inspiration dans ce genre d’histoire, comme par exemple, La Belle et la Bête ? Katia Lanero Zamora : Je n’ai pas conscience que je mobilise telle ou telle image quand j’écris, je me rends compte qu’après coup… Ce sont souvent des images, des références visuelles, et ça me vient très fort de ma culture ciné de quand j’étais gamine. Jeanne : À quelle époque se situe l’histoire ? Katia Lanero Zamora : Début 20ème siècle, à peu près. Léo : Est-ce que ce roman est une quête initiatique ? Katia Lanero Zamora : Oui, c’est un cheminement propre aux contes, où le personnage se croit être d’une certaine manière et finit grandi à la fin de l’histoire. De façon inconsciente, j’ai créé une structure de conte avec trois épreuves. Amélia : Abordez-vous l’émancipation de la femme ? Katia Lanero Zamora : Par rapport aux thématiques qui traversent le livre, j’ai pu retirer : Mais qu’est-ce qu’on devient, lorsqu’on nous empêche d’être qui on est vraiment ? Tous les personnages vont traverser cette question et vont trouver des réponses, et celle qui a le plus de mal avec cette question, c’est Amaryllis. Les embranchements de ses parents ne lui conviennent pas, alors elle va réfléchir à ce qu’elle veut devenir. On a empêché sa mère d’être ce qu’elle voulait être, donc en tant que mère, elle a l’impression que c’est le meilleur pour sa fille, la vie de botaniste, que le destin qu’elle fantasme sera celui qui rendra sa fille heureuse. Dans son esprit, elle se charge de préparer un avenir pour sa fille avec une projection d’elle-même. Célestine : Est-ce que L’Aeternalis a un lien avec des recherches existantes ? Katia Lanero Zamora : Pour moi, c’était la cristallisation de tout le paradoxe de Gersande. Elle sait qu’il y a un cycle aux choses. Elle est paradoxale, par rapport à la mort aussi. Elle a une obsession de garder l’Aeternalis immortelle, cela voudrait dire dans le même stade le plus longtemps possible. Son envie de garder sa fille le plus longtemps possible, comme l’Aeternalis reste figée. Les changements de la plante correspondent aux changements d’Amaryllis. L'Aeternalis finit par repousser, lorsqu’elle fait moins attention à elle. Cette renaissance sur le fumier/compost, c’est la renaissance d’Amaryllis. Elle s’épanouit dans le grand bordel, dans le moins glamour. Cette fleur périt avec les flammes. Mais elles ont gardé les vingt-ans de travail sur la plante avec elles. Amélia : Pouvez-vous nous parler du parallèle entre le Manoir et la prison ? Katia Lanero Zamora : C’est le paradoxe de la zone de confort. Rester dans une zone qui nous est confortable et où on est en sécurité nous est positif, car on peut être soi-même, souffler, avoir les mêmes mécanismes. Sa relation avec sa mère, elle la connaît par cœur, le Manoir et ses ombres, elle les connaît. Cela fait plus peur de sortir, car ça peut être pire. Le Manoir est une prison dorée, une sécurité, au sens où « je sais ce qui m’attend ici, je ne sais pas ce qui m’attend dehors ». Alicia (moi) : Pourquoi Amaryllis et Gersande comme prénoms ? Quelle signification ? Katia Lanero Zamora : Les Ombres d’Esver, c’était d'abord une petite graine. J’étais, en 2012, en réunion pour le boulot, mais ça tournait en rond. Et quand je m’ennuie, je pars dans mon imagination (trait commun avec Amaryllis). Il y avait une maison, un Manoir, habité uniquement par une mère et sa fille. C’était la première cellule de ma construction de ce bouquin. Et ça m’a provoqué des interrogations : que font-elles là ? Qui a une maison pareille dans notre société ? Si elles sont seules, c’est qu’elles sont abandonnées ? Mais pourquoi ? Étaient-elles nobles ? Elles doivent avoir des noms recherchés, donc j’ai commencé une fiche de personnages avec cette idée principale. La mère et la fille, qui sont-elles ? La mère est un peu âpre, passionnée de botanique. Si elle est passionnée, alors pourquoi ne pas nommer sa fille avec le nom d’une fleur ? Je suis tombée sur Amaryllis qui, tout de suite, en le lisant me roulait sur la langue, je le trouvais très élégant. Sa signification : on l’offre en signe de victoire, on les cultive pour les offrir comme des fleurs de Noël, elles sont belles, robustes, et quand on m’en a offert, alors que je travaillais sur le roman, je me suis rendu compte en taillant la tige, qu’en fait la tige était creuse et que c’était rouge à l’intérieur. Il y a eu comme des gouttes de sang qui coulaient dans le vase quand je l’ai coupée : c’est une plante robuste qui saigne à l’intérieur. C’était parfait pour mon personnage. Quant à Gersande, j’avais envie d’une femme austère, psychorigide, avec une sécheresse visible et émotionnelle en elle, puis sa caste… Je trouvais que le prénom avait quelque chose de noble et d’âpre, et que ce n’était pas courant. Ça m’est apparu comme le bon prénom. Et là, je commence à avoir une vision de mes personnages, c’est comme s’ils prenaient vie. Ma question principale a toujours été, au début : que s’est-il passé ? J’essaie de creuser pour savoir ce que l’histoire va raconter. Elle s’appelle la méthode du flocon, je ne l’ai découvert que récemment. Célestine : On a compris qu’Esver signifie Rêves : pouvez-vous nous en dire plus ? Quel est le rapport entre les deux ? Katia Lanero Zamora : Oui, c’est un anagramme, mais c’est aussi le mot « rêves » dans l’ancien français. Jeanne : Avez-vous trouvé le titre au début ou à la fin ? Katia Lanero Zamora : Déjà, il me faut un titre de travail, pour que mes proches sachent sur quoi je travaille. Ma première version s’appelait Amaryllis. La deuxième version s’appelait La Vouivre, parce que cette créature m’a toujours fascinée. Et ça a été son titre, jusqu’à la veille de l’envoi chez l’imprimeur. Parce qu’il fallait signer le BAT (= Bon À Tirer), et l’éditeur m’a appelé pour me dire qu’il fallait changer le titre parce qu’il était pris, ça aurait été bête de créer un amalgame. Du coup, le maquettiste devait changer la couverture, etc. On a dû brainstormer assez rapidement, on est arrivé sur la piste « Mais pourquoi tu avais choisi La Vouivre ? », « Mais est-ce que tu crois que c’est vraiment le plus important ? », ah oui le plus important, c’est qu’elle doit consoler la petite fille de ses ombres. Les Ombres d’Esver a été proposé, j’en ai parlé à mon mari, et ça a été pris. Le livre La Vouivre m’a vraiment plu, il parle du mythe de la vouivre avec un rubis. Ça raconte l’histoire d’une nymphe qui se fait violer en route, elle appelle tous les serpents pour qu’ils tuent le gars qui lui a pris son diadème, elle le récupère et reprend sa vie. Cela concernait bien Gersande. Alicia (moi) : Quand Gersande détruit les objets de navigation d’Amaryllis, c’est parce qu’elle n’aime pas qu’elle ait la même passion pour elle ou parce qu’elle a peur pour sa fille ? Katia Lanero Zamora : Un peu des deux. Gersande comprend qu’Amaryllis a la même passion que son père, et elle déteste son père, elle déteste les hommes de par son expérience matrimoniale. Elle trouve que ce serait le pire destin pour sa fille de finir comme elle. Célestine : Quel est le lien entre les deux grands repas (quand elle était enfant, puis plus âgée) ? Katia Lanero Zamora : Oui, c’était important pour moi, pour aller au bout du bout du pire qu’il pouvait arriver au personnage : c’était de recréer la même situation. Remettre Gersande dans cette même situation d’humiliation, pour que la boucle soit bouclée, que la malédiction soit levée. Pour que l’horloge se remette à avancer. Nathan F. : Pourquoi 20h44 ? Katia Lanero Zamora : Parce que sur le planning d’un dîner mondain, je me suis dit que c’était le bon moment. J’avais envie d’une sonnerie à 8h44 qui sonne le matin quand le monde est éveillé et à 20h44 quand le monde devient noir en hiver. J’ai essayé de trouver le bon compromis pour que la nuit de Gersande se finisse à une heure acceptable, et qu’Amaryllis ne puisse pas voir sa transformation. Léo : Combien de temps vous a pris l’écriture du livre ? Katia Lanero Zamora : Entre le premier jet et la sortie, il y a eu 6 ans, mais j’ai travaillé sur 3 romans. J’ai dû travailler en tout et pour tout un an et demi sur Les Ombres d’Esver. J’ai besoin d’avoir une grande lucidité sur ce que je suis en train de faire, de jeter des parties, de trouver de la joie sur ma façon de travailler. Nathan F. : Avez-vous fait face au syndrome de la page blanche ? Katia Lanero Zamora : Je ne l’ai pas eu, en étant devant ma feuille, sans savoir quoi écrire. Mais plutôt, comment l’écrire, comment le mettre en valeur. Je pense à une scène fantasmée et je m’y accroche, je l’appelle la « scène hameçon ». Ma question n’est pas « quoi » mais plutôt « comment ». C’est très prenant, car on réfléchit à chaque réaction, chaque personnage. On est collé à eux, on voit leurs ressentis. Tom : Avez-vous un rythme particulier ? Katia Lanero Zamora : Chaque œuvre dicte son rythme, cela prend du temps à déterminer. Quelle est la meilleure façon de raconter une histoire ? Par exemple, ce qui prend le temps dans Le Seigneur des Anneaux, c’est d’expliquer les repères aux lecteurs pour qu’ils se retrouvent dans l’histoire. Ce que je voulais dans ce début lent, c’était la lenteur de la vie d’Amaryllis, l’ennuie qui en découle, prendre le temps d’installer. Une fois que ça part, ça part vraiment, et il faut attacher sa ceinture. Plus rien n’est comme avant après la mort de Rouage, ça s’accélère, après avoir montré les pièces du puzzle, il ne reste plus qu’à tout emboîter. Il faut installer correctement les éléments. C’est manipuler le lecteur pour lui donner des éléments qui ne sait pas à quel point ils sont précieux, afin que la révélation fonctionne et de donner des émotions. Être lucide sur ce que je suis en train de faire, parce que je ne veux pas ennuyer mon lecteur. Célestine : Vous dites que vous aimez être lucide quand vous écrivez, c’est par rapport à quoi ? Katia Lanero Zamora : Par rapport à ce que je suis en train de faire, de la même manière qu’un garagiste qui veut rénover une voiture. « Mais ça, si je le remplace, il y aura ça comme effet, mais si je change cela, ce sera tel effet ». Lucide sur mon personnage : s’il fait ça, il se montrera comme ça. Mais il ne peut pas faire certains trucs, s’il ne réagit pas de ce genre habituellement, etc. Alicia (moi) : Comment gérez-vous le « show, don’t tell » ? Comment avez-vous travaillé votre style ? Katia Lanero Zamora : C’est un style que j’ai. C’est important de l’éviter dans l’audiovisuel. En littérature, c’est beaucoup moins strict. J’ai une écriture très visuelle parce que j’ai été abreuvée de films, de séries, j’ai vite eu conscience de ce qu’était une scène, une séquence dramaturgique intuitive. Comment est-ce qu’on raconte une histoire ? Comment raconte-t-on le parcours d’un héros positif ? Comment raconter la corruption ? J’ai commencé à les appliquer à mon écriture littéraire, et maintenant avec les scénaristes que je suis, c’est important qu’ils apprennent à planter un personnage, pour que l’on ait une intuition de sa justesse. Nathan F. : La fin a-t-elle été pensée avant ? Katia Lanero Zamora : Pour moi, le climax a toujours été le moment du 20h44, quand plus rien n’est comme avant. Je savais que j’avais cette scène-là, c’était tous mes dominos que je pouvais mettre sur le chemin du lecteur pour qu’ils comprennent tous les enjeux, pour ne plus avoir de questions, et juste se demander « que va-t-il se passer ? ». La résolution, je voulais que ce soit positif, je ne voulais pas d’un drame en plus, je voulais que ces pauvres femmes s’en sortent. J’ai un épilogue, qui va sortir sur le site de l’éditeur, où je m’exprime 10 ans après à mes personnages. Juliette : Vous n’avez jamais pensé à faire une fin avortée ? Katia Lanero Zamora : Non. D’ailleurs, c’était drôle, parce que j’ai donné le livre à un ami lecteur, et j’avais imprimé juste les 2/3, il n’avait pas compris qu’il avait les 2/3. Et ça s’arrête au moment où elle saute de la tour, que sa mère se transforme pour la sauver, et qu’elle découvre que sa mère est la vouivre. Il finit, puis il me dit « C’est quoi ça ? Je suis déçu », j’ai dit « Il reste 60 pages, ne t’en fais pas ! » et il était soulagé. [rires]. Jeanne : Est-ce que la mère part avec Amaryllis à la fin ? Katia Lanero Zamora : Elles partent toutes les deux. Célestine : Moi j’ai compris qu’elles ne partaient pas. Katia Lanero Zamora : C’est intéressant, pourquoi ? Célestine : Je pensais que la mère restait en vouivre pour défendre son royaume. Katia Lanero Zamora : Les avatars restent sur place, ils voient l’avatar de Gersande, le monde imaginaire est fermé, tout est rentré dans l’ordre, mais Gersande et Amaryllis partent. Les avatars sont figés à Esver, il y a d’autres histoires qui se créent. J’ai fait du fantastique, où le réel est envahi par l’irréel, ce n’est pas un fantastique de passage, le concept est très différent. Léo : Est-ce que ça vous intéresserait un projet cinématographique sur Les Ombres d’Esver ? Katia Lanero Zamora : Complètement ! Je travaille pour la télévision, j’ai écrit un roman-nouvelle, pour une vague de fictions sonores en podcasts. Ce sont des fictions où l’on écoute des histoires, il y a des bruits de portes, des bruits de pas, ça nous entre dans une certaine immersion. Je travaille pour des scénaristes, je suis « script-doctor », je suis le docteur des scénarios. Je lis un scénario et je dis ce qui ne va pas, voilà les symptômes, si tu retravaillais ceci et cela, tu pourrais resserrer l’intrigue. On travaille avec des humains, c’est difficile de manière psychologique de dire à un auteur que quelque chose ne va pas. Léo : Avez-vous déjà pensé à une adaptation ou vous l’a-t-on proposé ? Katia Lanero Zamora : C’est difficile de faire du fantastique dans le monde francophone, car le monde anglo-saxon l’a bien développé avant nous, avec un savoir-faire et des techniques qui font que leurs films de SF, de fantasy et de fantastique sont bétonnés. En Belgique et en France, c’est rare, parce que ce genre coûte cher, déjà de par l’ambiance qui doit être créée : maquillage, déco. Cela permet de dé-réaliser l’image pour donner à cette image l’impression d’être dans un autre monde. Célestine : Entre vos différents romans, y a-t-il des liens ? Katia Lanero Zamora : Non, sauf en cas de série/trilogie. Ils sont à des stades de développement différents, on ne parle pas forcément de la même chose. La trilogie, les chapitres sont construits comme des épisodes, il y a des mondes différents, un genre de science-fiction. C’était ma première œuvre finie, donc ce fut foisonnant. Il y a quand même la dualité des personnages avec leurs avatars (animaux totems), le côté dédoublement : il y a soi et ce que la personne devient. Juliette : Avez-vous des auteurs phares ? Katia Lanero Zamora : Je ne suis pas fidèle en littérature. Un livre peut ne pas m’intéresser sur le moment, mais je peux y revenir après. Le premier qui m’a mis dans un état second c’est La nuit des temps de Barjavel. Je me suis mise à pleurer à la fin du livre. Quand je l’ai lu, je me suis dit que je voulais créer quelque chose d’aussi grandiose qui fera voyager le lecteur. J’aime bien Neil Gailman, qui réveille cette part d’enfant qui a peur du noir, d’être abandonné. Alicia (moi) : Vous avez écrit une nouvelle pour Libération, où vous exploitez encore la relation mère-fille et le rapport à l’environnement, pouvez-vous nous dire si ce sont des schémas que l’on retrouve souvent dans vos histoires ? Katia Lanero Zamora : Libération m’a commandé un texte de science-fiction qui devait être positif sur l’avenir. En 2050, on arrive à la neutralité carbone. Avec une limite de signes, et ce, en 48h. Ils voulaient publier un auteur de SF cette semaine, on voulait être dans autre chose que dans le futuriste que l’on connaît tous. Il fallait que je le fasse, parce que Libération, c’était un coup de comm’. Je suis partie du passage de la transmission, et la relation mère-fille m’interrogera toujours. Les liens familiaux m’intéressent. J’écris un roman, dans un autre style, sur la relation entre frères. C’est deux frères qui vivent dans deux camps opposés durant une guerre civile. Je n’en ferai pas un roman, parce que je ne construis pas mes romans comme mes nouvelles.
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